Sorti en 2020, Soul est l’un des derniers Pixar produit pour Disney. Il raconte l’histoire de Joe Gadner, professeur de musique à New York. Nous comprenons très vite que Joe est insatisfait de son quotidien, il ne rêve que d’une chose : devenir pianiste professionnel et faire carrière dans le jazz.
Un jour, alors que Joe vient de réussir une audition pour jouer le soir même auprès d’une saxophoniste renommée, il tombe dans une bouche d’égout. L’euphorie s’arrête net. Joe se retrouve en route pour « Le Grand Après » où sont envoyés les âmes des êtres décédés sur Terre.
Mais non. Non, non, non, non. Sa vie ne peut pas prendre fin maintenant alors qu’il semblait toucher des doigts son rêve ! Tentant de courir en sens inverse, Joe finit par atterrir dans « Le Grand Avant » où l’on prépare les âmes à naître. Chacune d’elle possède un badge qui, une fois rempli de différents traits de personnalité, les autorise à s’incarner.
Joe est confondu avec une âme-mentor. Il est alors chargé d’aider 22, une âme qui n’a jamais voulu rejoindre la Terre, à compléter son badge. L’objectif est que 22 trouve « sa flamme » (ce que Joe comprend comme « sa passion », ce à quoi 22 dédira sa vie). La sienne par exemple, c’est le jazz. Mais rien ne semble plaire à notre petite âme au caractère bien trempé…
22, fatiguée de s’essayer à toutes les activités terrestres possibles et imaginables, emmène Joe dans « la zone », le lieu où se retrouvent les âmes des êtres transportés par leur passion sur Terre. On y aperçoit des musiciens se livrant sur scène, des sportifs pleinement présents à leur jeux, des peintres au beau milieu d’une création.
Ils y rencontrent aussi des « âmes égarées » qui n’arrivent pas à se séparer de leurs angoisses, de leurs obsessions. Il libère par exemple un homme travaillant à la Bourse, obnubilé par ses actions (sur Terre, l’homme en question fait soudainement voler son bureau et quitte son travail en criant à ses collègues « I am alive! »).
Joe et 22 se retrouvent ensuite nez à nez avec Vendelune, un hippy mystique dont l’âme est capable de voyager dans la zone (alors que son corps vit encore). Par une drôle de médiation, il parvient à renvoyer l’âme de Joe sur Terre ; mais accidentellement, 22 est emportée aussi ! Nous réalisons alors que l’âme de 22 a attéri dans le corps de Joe, et que l’âme de Joe est dans le corps… d’un chat.
Dans leur périple pour retrouver Vendelune (le seul être capable d’inverser leurs âmes), 22 découvre la vie sur Terre. D’abord dégoutée d’atterrir dans notre monde, elle se surprend à y prendre goût et apprend peu à peu à l’aimer. 22 marche pour la première fois, hume l’odeur d’une pizza, se délecte d’un donut, s’émeut devant un chanteur de rue, rit de tout, et notamment des samares (fruit sec en forme d’ailes qui tombent des arbres à l’automne). Elle s’émerveille comme un enfant qui s’ouvre au monde. Tout est nouveau. Tout est beau. Tout est source de joie.
« You are very good at jazzing » lui dit Joe-le-chat. Comme si jazzing était un état d’âme, un art de vivre, le don de flâner d’une chose à l’autre, et d’en faire une jolie mélodie. 22 n’a presque plus envie de retourner dans « le Grand Avant »… la vie sur Terre lui plaît. Mais Joe a besoin de retrouver son corps ! Il dévalorise alors tous les petits bonheurs de l’existence qui enthousiasmaient tant 22. « Il ne s’agit que de banalités 22, tu dois retourner au Grand Avant pour trouver ta flamme, le sens de ta vie. » Désespérée, notre petite âme s’enfuit avec le corps de Joe, elle ne veut pas quitter la Terre.
Dans leur course poursuite, ils sont repérés par Tierry (un individu chargé de compter en permanence les âmes qui quittent leur corps sur Terre). Celui-ci les revoit tous deux dans le Grand Avant… De retours à leur état d’âme, ils réalisent que le badge de 22 est rempli ! Joe est néanmoins persuadé que cela est uniquement lié au fait que 22 ait habité son corps (animé par la flamme du jazz). 22, folle de rage, lance son badge à Joe pour qu’il rentre sur Terre, et finit par s’enfuir.
Joe, ne pensant qu’à son concert du soir, retourne parmi les vivants. Sa prestation est un véritable succès. Cependant, à la sortie, il n’est pas aussi heureux qu’il l’aurait imaginé… Dorothea (la saxophoniste qu’il accompagne) lui raconte alors l’histoire suivante : « Un petit poisson va voir un poisson plus âgé, et lui demande où se trouve l'océan. Le plus âgé lui répond que c'est précisément là où il nage. Mais le plus jeune rétorque : Non, ça c'est de l'eau, moi ce que je recherche, c’est l'océan ».
Sur le chemin du retour, Joe réalise que rien n’a foncièrement changé… Le métro est toujours aussi morose, et lui toujours aussi triste. C’est en retrouvant, dans ses poches, les objets que 22 adorait qu’il prend conscience de son erreur. Et s’il avait couru toute sa vie après une quête vaine ?
Tellement obnubilé par sa passion pour le jazz et son désir de faire carrière, Joe en avait oublié les autres plaisirs de la vie. Ceux qui, bien que tout simples, nous entourent au quotidien. Un bout de donut, une bobine de ficelle appartenant à sa mère, une samare. Il joue en pensant à toutes ces merveilles que 22 célébrait, et qu’il prenait pour acquis. Il revit certains moments de sa vie, qu’il pensait banals, et leur redonne toute leur valeur. Sa vie n’est peut-être pas si ratée que ça, finalement.
Transporté par sa musique, il entre dans la zone avec l'intention de rendre son badge à 22, pour qu’elle puisse vivre à son tour. Mais Joe réalise que 22 est devenu une âme égarée… On l’entend ruminer « je suis une incapable », « je n’ai pas de raison d’être », « pas de but dans la vie ». Ses pensées l’amènent à se couper du monde et des autres. Ses angoisses prennent toute la place.
Joe tente de toutes ses forces de la ramener à elle : il lui crie qu’elle est bien assez, qu’elle est prête à vivre. Rien ne fonctionne. Il brandit alors de sa poche la samare (ramassée par 22 lorsqu’ils étaient sur Terre), et tous les démons et pensées obsédantes de 22 disparaissent… Cette samare, elle incarne la puissance des petites joies sur les grands tourments. Et elle est ici le symbole de leur victoire.
Joe parvient à sortir 22 de l’état de dépression qui l’accable. Seule, 22 pense qu’elle ne vaut rien et n’est pas capable de vivre. Mais Joe l’aide à se prouver que c’est tout le contraire. Sa relation avec lui l’aide à faire grandir l’estime qu’elle a d’elle -même, nécessaire pour qu’elle s’autorise à vivre.
22, libéré de ses peurs, récupère son badge et s’élance vers la Terre. 22 s’apprête à naître. Quant à Joe, il se retrouve bientôt sur la passerelle du « Grand Après »… Alors qu’il se sent prêt à quitter ce monde en paix, les directeurs du « Grand Après » apparaissent. Ils le remercient d’avoir transmis à 22 l’envie de vivre. Cela faisait des siècles que ses mentors échouaient. En guise de récompense, est-ce que Joe voudrait une deuxième chance ? Souhaiterait-il retrouver son corps ? D’abord hésitant, Joe accepte : il retrouve alors avec émotion son corps et sa vie, qu’il détestait tant auparavant.
La dernière scène est d’une simplicité renversante. C’est un matin d’hiver ensoleillé, Joe met son manteau, ouvre sa porte, respire, et sourit. Il se fait une promesse silencieuse. Celle d’apprécier pleinement sa vie. Sa vie, si banale et si précieuse.
Le film Soul, bien qu’il s’agisse d’un dessin animé destiné aux enfants, peut toucher tous les publics. Nous comprenons à la fin du film que la “flamme” (que 22 cherche désespérément) n’est pas la passion ou le but ultime d’une vie, mais simplement le goût de vivre. Cette flamme s’allume sur le badge des âmes lorsque celles-ci se sentent prêtes et légitimes à vivre. Alors il n’y aurait pas vraiment besoin de passion définie ? De vocation claire et nette au creux de soi ?
Personnellement, j’ai toujours paniqué en entendant : « Que veux-tu faire plus tard ? Quelle est ta passion ? ». Que dire. Vite. Une réponse pertinente. Qui me définit. Le problème, c’est que… je n’en sais rien. Je n’aime rien en particulier, j’aime tout. Cela signifie-t-il que je suis inintéressante ? Sans ambition ? Que ma vie ne mérite pas d’être vécue ?
Suivre une passion précise est une idée au cœur de nos croyances. Si je la suis, c’est le bonheur assuré ; si j’échoue à la trouver (dans le cas de 22) ou à la suivre (dans le cas de Joe), c’est l’échec assuré. Toute une industrie est née pour aider les gens à trouver leur passion (magazines du style : comment trouver LE métier qui donnera du sens à ta vie). Cet impératif culturel est pourtant dangereusement limitant. La passion ne se réduit pas à un emploi, un sport, ou un loisir. C’est un sentiment. Quelque chose que l’on ressent, qui nous anime. C’est une joie qui jaillit lorsque l’on fait quelque chose que l’on aime, quelque chose qui nous tient à cœur, qui a du sens et de la valeur à nos yeux. La passion réside dans l’intérêt et l’énergie que l’on y porte.
Alors ne faudrait-il pas se réjouir d’avoir de multiples passions ? Rappelons-nous sans cesse que notre passion se niche partout. Dans tout ce que l’on choisit de faire. Dans tout ce que l’on entreprend. Dans nos changements de trajectoires. Dans nos décisions de dernières minutes. On ne crée pas un plan pour le vivre ensuite, on le crée en vivant.
Et si l’on ne suit pas une passion précise ; la passion, elle, nous suit.
Et elle nous suit même jusque devant chez nous. Ouvrez votre porte. Respirez.
Je crois que j’ai une passion pour les matins d’hiver ensoleillés.
Chanson de fin pour bien commencer votre journée, It’s All Right, extraite de la bande-son de Soul :